Communiquer en écosystème
12 Septembre 2010
La fin du XXème siècle a célébré la religion de la communication : Communiquez! Ou mourrez sans pardon. Il s’est terminé par l’explosion des NTIC, la révolution annoncée de la communication généralisée, grâce à la technique. Or, c’est exactement l’inverse qui semble se produire. Là où les thuriféraires nous promettaient de pouvoir relier n’importe quel homme à l’importe quel autre, et de faire de chaque individu une paramécie baignant dans un bouillon de culture informationnelle, on voit au contraire se développer de véritables stratégies d’empêchement de la communication, des mécanismes de défense, de protection contre l’envahissement de cette communication généralisée. En voici 7
1 Rien n’existe hors de l’internet
Nombre de sites ne proposent à la rubrique “contact” qu’un masque permettant de laisser un message, en espérant qu’un webmaster daignera le traiter. Pas de numéro de téléphone, pas d’adresse postale, comme s’il n’y avait aucune existence réelle, pas d’IRL. Ils se sont mis physiquement à l’abri, ils sont “intouchables”.
2 Usez les bancs de la FAQ
Vous avez une question à poser? Voyez plutôt la rubrique FAQ (Frequently Asked Questions), toutes les réponses aux questions que les autres ont posées et auxquelles nous avons bien voulu répondre. L’utilisateur est seul face à lui-même en train d’essayer de faire correspondre son problème avec les solutions qu’on lui propose. Il n’y a personne en face.
3 "Tapez : 1"
Les nouveaux standards téléphoniques trient les appels selon des algorithmes auxquels il est impossible d’échapper. Il devient impossible de poser sa question. Il faut décider si on veut avoir affaire à un technicien, un commercial, si le problème vient de la ligne ou de la plateforme, alors qu’on n’en sait rien. La communication, humaine ne peut pas se digitaliser. Cela obligerait le client à devenir lui-même un algorithme. Les nouveaux standards téléphoniques ne sont pas faits pour répondre aux clients mais pour éviter d’avoir à répondre.
4 "Laissez un message sur ma boîte vocale"
Dans les premiers temps des téléphones mobiles, les utilisateurs se félicitaient de pourvoir être joints n’importe où n’importe quand. Mais cette situation est devenue rapidement insupportable, notamment devant la mutiplication des abus. Aujourd’hui, ce qui devait n’être qu’un répondeur prenant le message en cas d’absence est devenu un véritable filtre. On n’arrive plus à joindre personne en direct. Il faut en général plusieurs essais et plusieurs messages.
5 Les masques
Il semble qu’il ne soit plus possible de communiquer sous son vrai nom. Partout, on demande d’entrer un Login, un pseudo, un mot de passe secret, comme si la communication était devenue un jeu clandestin et que maintenant, c’était ça la norme. Mais les masques permettent tous les abus que les visages découverts n’autoriseraient pas. On a institionnalisé une communication ou ce n’est jamais le vrai moi qui parle au vrai toi.
6 La mort de la politesse
Ce pourrait être une veille manie de grand-mère, mais c’est beaucoup plus grave. Nous communiquons court et direct. Les formules, les rituels et même le vocabulaire de politesse ont presque totalement disparu de nos échanges. Or ils ne jouaient pas qu’un rôle d’agrément. Ils servaient à désamorcer la violence entre les rapports humains, à la codifier. Sa disparition va de pair avec une montée de l’agressivité verbale et physique, la généralisation d’argots de plus en plus crus, de mots et de tournures de plus en plus blessants, glissant facilement vers des affrontements de personnes. Nous avons perdu les régulateurs comportementaux.
7 Les robots censeurs
Voilà maintenant que pour réguler les échanges humains, sur des plateformes comme Face Book, nous nous en remettons à des machines, à des algorithmes qui décident de supprimer un profil parce qu’un calcul aura détecté des activités qu’il juge anormales, ou des phrases parce des expressions auront été détectées comme portant des marqueurs interdits. Par exemple, un article contre le racisme se verra interdit parce qu’il dénonce des propos racistes. Sans que l'auteur puisse réagir. Sans qu’il puisse se défendre. Puisque ce sont des machines qui prennent la décision. Aucune instance humains, en démocratie, ne serait autorisée à ce type de censure.
Conclusion?
Si un tel monde emergeait, le monde de l’anti-communication, on pourrait attendre de lui qu’il produise au moins les deux effets suivants.
1 De la schizophrénie technologique. Des individus qui à force d’être en relation avec des machines qui les obligents à entrer dans leur propre mode de fonctionnement, se trouvent coupés, du monde réel, déshumanisés, des nerds, des no-life.
2 Une montée sourde mais inexorable de la violence sociale, de la part de tous ceux qui n’arrivent plus à se faire entendre. Des agressions physiques de plus en plus fréquentes, par exemple dans les services publics.
Or, il semble que ce soit précisément ce à quoi on assiste aujourd’hui.
Pierre Gandonnière
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