Communiquer en écosystème
17 Septembre 2010
Bien peu probable que le président Sarkozy parvienne à reprendre le contrôle de sa communication, tant les choses sont allées trop loin. Elles lui échappent. Non pas par manque de contrôle, mais par excès. Petit exercice d’écologie de l’infformation. On assiste ici à une bataille entre une conception dépassée de la communication politique, celle de l’Elysée, et une construction nouvelle du monde médiatique, bâtie sur le modèle de l’écologie. Cette bataille, l’Elysée est en train de la perdre.
La communication élyséennne repose sur des certitudes issues du XXème siècle et sur un modèle fonctionnel : une source arrose une cible. Thierry Saussez, le directeur du Service d’Information Gouvernemental et ex-gourou de la communication politique, ne s’en cache pas, pour lui “l’information, c’est la communication unilétérale”. Celle dans laquelle le récepteur ne peut pas répondre. Comme dans la publicité. Cela donne la stratégie de “une carte postale par jour” : saturer les médias avec de l’information/image sous contrôle, puisqu’elle vient toujours de l’Elysée (principe de la surjection). Cette stratégie s’accompagne de deux corollaires. 1. Sidérer la cible, pour l’empêcher de réagir. Les médias sont tellement menés un train d’enfer, tellement vite on passe d’un sujet à l’autre, qu’ils n’ont aucun espace pour reprendre la main. 2.Dissuader d’autres sources de “communiquer” ou d’informer, par l’intimidation (attaques contre des médias ou des journalistes) ou par le discrédit (les accuser de malhonnêteté, ou d’intentions scabreuses : “trotskystes!”)
Le monde médiatique fonctionne comme un réseau d’écosystèmes. Les circulations n’y sont pas linéaires, comme le croit l’Elysée, et comme le modéliste la théorie des fonctions (injection, bijection,surjection), mais suivent plus généralement des boucles, comme les rétroactions. Tout ce qu’on injecte dans le système finit donc par vous revenir dans la figure un jour ou l’autre, en bien ou en mal. Il n’y a pas de “cible passive”. Une information n’est pas une boîte de conserve fermée qui voyage intacte jusqu’à destination. Toute information sera reprise, digérée, transformée, enrichie, déformée, falsifiée, transmise, renvoyée. Personne ne peut prétendre contrôler un tel système multiacteurs. Les délires de toute puissance se cassent les dents dessus. L’environnement , le contexte, jouent aussi un rôle déterminant, ils informent autant que l’information elle-même. Par exemple, la fameuse phrase “maintenant, en France, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit”, n’a fait rire personne au moment où elle a été émise. Le Parlement était en train de voter la loi dire “sur le service minimum”. Mais ressortie à chaque mouvement de grève paralysant, elle n’en finit pas de tourner en ridicule son auteur.
Deux illustrations
Woerth-Bettencourt :on ne parle pas pendant un enterrement !
Modèle de communication défensive de lElysée. Toute la stratégie vise à étouffer le bruit médiatique de l’histoire. 1 Asphyxier la source, c’est à dire la justice. Le procureur Courroye fait traîner les enquêtes préliminaires. On tente de museler l’enquête conduite par la juge Isabelle Prevost-Deprez. 2 Discréditer les sources dissidentes : la comptable, le majordome, la fille, puis les médias. 3 Distiller par l’intermédiaire du Figaro, les informations correspondant au plan de communication élyséen (surjection). Bien sûr, ça ne marche pas. Comme la source naturelle, la justice, est empêchée, un autre système va prendre le relais pour sortir les informations : la presse. On a voulu fermer l’écosystème judiciaire. On n’a fait qu’ouvrir davantage l’écosystème médiatique. Et la situation échappe totalement à l’Elysée. Désormais, toute information qui sort paraît arrachée à une volonté de dissimulation présidentielle. Il n’y a plus d’informtion officielle crédible. Pendant qu’on enterrait l’affaire, la presse était pourtant priée de se taire.
Le triple clash de Bruxelles
Paris dément mener une politique discriminatoire à l’égard des roms. Mais la circulaire de Michel Bart le 5 Août 2010 dément les dénégations du gouvernement. Lequel se voit obligé de démentir en être à l’origine. De démenti en démenti, on essayera donc de savoir que le 16 septembre, un déjeuner à Bruxelles a -n’a pas- été violent entre Manuel Baroso et Nicolas Sarkozy, puis qu’Angela Merkel a -n’a pas- soutenu le président français en confit avec la Commission et même qu’elle lui a -n’a pas- confié qu’elle aussi s’apprêtait à démanteler des camps de roms. Que démontre cette histoire ? Encore une fois que la stratégie élyséenne ne fonctionne pas et ne peut pas fonctionner. Elle tente bien d’influencer la production d’images-informations selon le principe de la surjection, mais ça ne prend pas. Les informations se produisent, s’échangent, se transmettent librement dans les écosystèmes. Les écosystèmes en jeu sont : les institutions européennes, elles répondent à leur propre logique, l’Elysée ne peut pas en prendre le contrôle; les chefs d’Etat européens, ils ont leur manière de régler les relations et la communication entre eux, dans la culture de la diplomatie, aucun ne peut s’imposer aux autres; la presse internationale en poste à Bruxelles ou à Paris, les intimidations ou tentatives d’influence du président français ne lui font ni chaud ni froid; les systèmes médiatiques et informationnels de chaque état-membre chez lui, qui répondent à leur propre logique, se nourrissent de leur propre culture, avec leurs présupposés, leurs représentations de l’Europe, de la France et du président français. Sur tout cela Nicolas Sarkozy n’a pas la main. Non seulement il ne parvient pas à imposer son point de vue au mépris de la réalité, mais le choc en retour est terrible, si l’on en croit la presse internationale, pas seulement pour lui, pour son image, mais pour ceux qu’il représente, pour la France, pour les français. A la fin cette pauvre Méduse finit toujours par échouer, sur un banc de sable, comme la frégate du tableau en 1816
Le président français fonctionne selon une homothétie ratée. Le modèle pyramidal qui sert de référence, où tout est contrôlé à partir du sommet, c’est le RPR, exporté ensuite avec plus ou moins de succès à l’UMP. Etendre ce modèle à d’autre figures, comme la France, ou le monde médiatique, sans tenir compte de la réalité de ce qu’ils sont, c’est déjà prendre le risque de naufrager sa communication. Mais sur la scène européenne, sur la scène mondiale, où la complexité est encore plus grande, les vieilles recettes de Grand-Mère Saussez ne fonctionnent plus. Le président français semble dépenser une énergie considérable à essayer de réduire le monde à l’idée qu’il s’en fait. Mais le réel résiste, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Pierre Gandonnière
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