Communiquer en écosystème
3 Septembre 2010
“Photographie de l’opinion publique à un moment donné”, voilà comment on nous vend ces nouveaux tarots de Marseille que sont les sondages. “Mais-non mais-non, ils n’ont pas de valeur prédictive !” protestent les magiciens du chiffre. On croyait pourtant bien les entendre dire à longueur de journée : “si l’élection avait lieu aujourd’hui....” Alors que sont et ne sont pas les sondages? Ils ne sont pas des instantanés de quoi que ce soit, et sûrement pas d’une élection. Parce qu’une élection, c’est une décision, pas une vague préférence ou une déclaration d’intention. Désirer acheter une Rolls, avoir l’intention de le faire, ou l’acheter vraiment, ce n’est pas pareil. Ce qui se passe dans l’isoloir n’a rien à voir avec ce qui se passe quand on répond au téléphone à un enquêteur. La sondage ne reflète pas l’opinion publique, il la fabrique. En trois temps.
1 Le sondage fait exister une question qui n’existait pas. « Préférez-vous le camembert ou la crème au chocolat? » (Il n’y a que ça?) « Si le second tout opposait DSK et Marine Le Pen? » (Ah bon, il pourrait y avoir un second tour avec DSK contre Marine Le Pen? ) Ce sont des questions qui n’existent que parce qu’on les pose. Le sondage impose aussi la formulation. Demander : “Pensez-vous qu’il faut la prison à vie pour les violeurs d’enfant? “ Là, le lecteur se dit : "si je réponds non, c’est comme si je demandais l'indulgence pour les violeurs d’enfants.” Il répondra oui. Mais si on lui avait demandé : "pensez-vous qu’il faut la prison à vie pour les violeurs d’enfants -ou qu’il vaut mieux les soigner? “ ...Tout est dans la question.
2 Ce qui fait l’opinion ce n’est pas le sondage, mais sa publication. Un sondage qui reste secret est comme un arbre qui tombe dans une forêt où il n’y a personne : il ne fait aucun bruit. Il ne concerne que les moins-de-mille personnes qui ont été interrogées et qui ne connaissent même pas les résultats. Il ne prend la valeur d’opinion publique que lorsque les médias s’en emparent pour clamer : voici ce que pensent les français (qui ne le savaient même pas). Ce qui fait opinion publique c’est l’extrapolation de l’échantillon à la population. Mais ce n’est qu’une extrapolation, un tour de passe-passe, pas une mesure de l’opinion publique. On postule que, parce que l’échantillon a répondu X, cela veut dire que la population pense X. A propos d'une question qu'elle ne s'est même pas posée.
3 Miracle, au troisième temps de la valse, il y a réellement fabrication d’opinion publique ! Parce que le français lambda (un joli nom de mouton) en lisant les résultats du sondage, ne peut s’empêcher de se demander : “et où je me situe, moi, les oui, les non ?” Et il se range tout seul dans une petite case.
Il n’y a pas “d’opinion publique”, une instance mystérieuse qu’on sonderait pour savoir ce qu’elle pense. Elle n’existe pas et elle ne pense rien. Mais il y a fabrication d’opinions publiques, c’est à dire d’énoncés isolés les uns des autres, par l’administration de sondages et surtout par la réaction de la population à leur publication.
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