Communiquer en écosystème
5 Octobre 2011
C'est bon, les consultants, gourous, prophètes et thuriférères ont fait le boulot, tout le monde a bien compris : il faut surveiller son e-réputation. Sur le web n'importe qui peut écrire n'importe quoi sur vous, et ça reste, il n'y a pas de prescription, tout ce qui est écrit l'est pour toujours. Ici les regrets sont vraiment éternels.
Les cabinets conseils ont donc fleuri et ils proposent de toiletter le web, d'éliminer tout ce qui dérange, d'organiser des veilles, des traques, de menacer, de faire arracher toutes les mauvaises herbes. Grâce à eux, plus rien ne dépasse. Donc tout va bien moyennant monnaie ? Et bien non, justement, il se pourrait bien qu'une politique trop active de e-réputation ne finisse par entraîner l'effet inverse.
Prenons cette entreprise que nous appellerons X. (Car si on donne son vrai nom, elle pourrait bien réussir à faire extirper cet article du web). Elle travaille dans le conseil aux PME, la réputation est très importante pour elle. Son business repose sur une relation de confiance entre les intervenants et les clients. Elle est très présente sur le web. Elle y tient un site qui vante ses mérites (classique) avec des témoignages soigneusement selectionnés pour être dithyrambiques. Aucun intérêt. Allons voir sur la toile ce qu'on dit d'elle, pour se faire une opinion.
1 On trouve beaucoup de sites, forums, blogs, qui parlent de l'entreprise X en des termes manifestement complaisants : descriptifs de l'activité, des résultats obtenus par les clients, d'évènements heureux comme une levée de fonds en Bourse. Autant de sujets qui ne sont que la reprise sans distance d'informations venant de l'entreprise X elle-même. Bref c'est de la com'. Crédibilité ?
2 Les forums devraient en dire plus. Qu'écrivent les internautes ?...Et bien pas grand chose. Ou plutot si. On repère immédiatement des messsages bidonnés : à l'évidence il s'agit de membres du staff qui se font passer pour des clients afin de chanter les louanges de l'entreprise. A quoi on le voit ? Par exemple : le pseudo impossible. On ne peut pas s'appeller Francis ou Jean sur le net, il y a trop de monde, le pseudo serait refusé par n'importe quel site d'identification. Sauf s'il est bidon et qu'il ne sert qu'une fois. Egalement : l'absence totale de fautes d'orthographes et de fautes de frappe. A part les professionnels de la com', personne ne fait ça. Et enfin l'insistance lourdingue pour que les internautesaillent visiter le site de l'entreprise. De la grosse ficelle. Et les commentaires critiques ? Il n'y en a presque pas. Mais en lisant la succession des échanges on s'aperçoit qu'il y en a eu. Ils ont été retirés. Donc on sait que ce forum est sous surveillance et sous influence. Censuré, quoi.
3 Enfin on devrait trouver des mentions dans la presse. Il a bien du se passer des choses dans cette entreprise. Tiens par exemple, il y aurait eu un procès perdu en début d'année, on clique...impossible, le document a disparu, le ménage a été fait. Et un problème avec des partenaires. La dernière version du logiciel qui était largement bugguée... Vrai? Faux? Une fois, deux fois, trois fois on trouve des mentions de documents et chaque fois le lien a été supprimé. On ne saura rien.
Voilà donc une e-réputation parfaitement maîtrisée. Rien ne dépasse. Seuls ont le droit de vivre les contenus favorables à l'entreprise X. C'est le web version chinoise. Ce qui soulève au moins deux problèmes.
1 Beaumarchais : « sans la liberté de blâmer il n'est pas d'éloge flatteur ». Aucun contenu positif n'a de crédibilité si aucune critique n'est possible. Donc ici: aucun contenu n'a de crédibilité.
2 L'image qui se dégage de l'entreprise X est : sincérité = 0, prise de risques = 0, capacité de dialogue = 0, capacité à reconnaître ses erreurs = 0.
D'où la question : est-ce bien raisonnable de vouloir tout contrôler ? Est-ce que l'image qui se dégage d'une communication entièrement verrouillée n'est pas pire encore que celle d'une entreprise qui accepte la critique ?
Au temps de l'écologie de l'information, verrouiller les échanges, c'est tuer l'écosystème. C'est d'ailleurs l'impression que donne la communicaiton de l'entreprise X, celle d'un système mort. Soviétisé.
Voir le profil de Pierre Gandonnière sur le portail Overblog