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Communiquer en écosystème

La communication d'entreprise au temps des réseaux (Partie 2)

"La communication au temps des réseaux" est téléchargeable ici (Word)
2ème Partie : les cigales redeviennent fourmis

Les médias traditionnels ont instauré le pouvoir des médias. Pas le pouvoir qui réside dans le média lui-même mais le pouvoir qui s'exerce à travers le média. A commencer par le premier d'entre eux : le pouvoir de renvoyer au pouvoir, une image de sa toute puissance dans laquelle il aime se mirer. Le média, et principalement la télévision puisqu'ellle met en image le pouvoir, fonctione comme le miroir de la Reine, dans Blanche Neige. Et voici la pomme. L'internet n'est pas seulement un nouveau média qui prend la succession des plus anciens, pas seulement une révolution de palais dans le monde médiatique, un nouveau monarque chassant l'autre, pas seulement un réaménagement du système, c'est un changement du système lui-même. L'internet est le média des médias, le méta-média et même l'Archimédia dont un des principes s'énonce : "tout corps plongé dans l'internet devient de l'internet". Il aspire, engloutit, déconstruit, reconstruit tous les autres médias. Il bouleverse aussi les modes de production et de distribution, les modalités d'échanges. Il change les êtres et les choses, les entités, leurs identités, leurs contours, leurs géographies, leurs territoires. Là où la communication publicitaire s'appuyait sur des modèles à deux dimensions (source/cible), quand ce n'était pas une seule (cause → effet), dans l'internet on en compte 5, ce qui devrait donner en bonne logique 7 points cardinaux, au lieu de 4 sur une Terre plate.

1
On repasse de l'image à la réputation. Dans l'internet, ce que tu es parle plus fort que ce que je dis. Et les réputations se font par les pairs. Je ne peux pas m'autoproclamer héros ou héraut d'une cause si je ne suis pas accepté et reconnu comme tel par la communauté à laquelle je m'adresse. Fini le temps où il suffisait d'investir les médias de pouvoir et d'attendre qu'ils vous imposent. Frédéric Lefebvre en sait quelque chose, son profil twitter vient d'être exécuté proprement  par les internautes pour comportement indésirable. Ce n'est pas un hasard si l'on voit aujourd'hui autant de réactions hostiles  de petits marquis des médias traditionnels, habitués à la déférence qui y règne et  à la non-contradiction. Ils voudraient contrôler l'internet pour retrouver une partie du pouvoir illusoire qu'ils avaient dans les médias traditionnels. Il ne supportent pas l'irrespect  et la liberté qu'ils rencontrent sur le web et préféreraient le voir museler plutôt que de s'efforcer de gagner son respect. Ils ne supportent pas les contrepouvoirs. Il faudra bien qu'ils s'y habituent. Le clivage entre pouvoir et contrepouvoir est déjà dépassé. Et le règne du contrôle se finit. Vat-il mieux tenter de contrôler l'océan par des règles ou apprendre à naviguer dessus ?
La nouvelle communication va se construire par un jeu beaucoup plus équilibré entre image émise et image perçue, un jeu de co-construction où le public joue un rôle au moins à égalité. Le poids du média sera beaucoup moins fort, celui des artefacts publicitaires aussi. On devra rester plus proche de la réalité telle qu'elle fait consensus dans l'auditoire, dégonfler la réalité virtuelle construite par le système médiatico-publicitaire. La gestion de l'e-réputation demande une grande vigilance. Le contrôle n'est plus aux mains d'un seul, mais aux mains d'une communauté.  Il repose davantage sur l'usage,  l'ethique partagée que sur la réglementation. Respect envers soi-même, envers son public, et même envers ses concurrents.

2
Pathé Marconi est mort. Dans ses anciennes publicités, on voyait un chien tendre l'oreille et toute la tête avec, dans le pavillon d'un gramophone. La Voix de son Maître.  Mais la parole n'est plus univoque, ni sans appel. Il n'y a plus de maître. Chaque phrase est redevenue une « proposition » dont l'interlocuteur s'empare pour l'accueillir, la contester, la transformer, la détourner, la partager avec son réseau. Les « vérités » se construisent à plusieurs. Il devient très difficile de mentir, ou de tricher sur internet. Du moins  ne le fait-on pas impunément. Les grosses ficelles de la communication politique ou publicitaire font long feu. La puissance des communicants n'est rien au regard de celles des communautés. Tout acteur qui chercherait à s'imposer par la force engendrerait une poussée verticale inverse de même force, qui tendrait à le rejeter. Encore une application du principe d'Archimédia. Rien n 'est plus dangereux que de vouloir exercer un pouvoir pyramidal de domination. Cela marchait dans le monde d'avant, celui des médias à diffusion, c'est à dire à circulation unilatérale. Dans les médias interactifs, la base de la pyramide peut à tout instant faire sauter le sommet en renvoyant les tirs dans l'autre sens. Le pouvoir d'un seul est plus dangereux pour lui que pour les autres. Dans les réseaux, la communication ne peut être que communautaire.
La nouvelle communication repose sur l'équilibre, qui a quelque chose à voir avec l'harmonie. Avec la polyphonie plutôt que la Voix de Son Maître. Ce qu'on dit de moi compte autant que ce que j'en dis moi-même. Il s'agit de faire en sorte que tout cela résonne, trouve son point d'accord. Il va donc falloir que les entreprises acceptent que chacun puisse venir participer, jouer sa partition, y compris lorsque ce n'est pas agréable à l'oreille, comme les critiques. Plutôt que de chercher à les faire taire, les organisations devraient se rendre compte de toute la richesse qu'elles représentent, de toute la masse d'informations qu'elles recèlent sur les attentes du public. Il ne s'agit donc pas d'éliminer les voix discordantes mais au contraire d'écouter, et d'opérer les réglages nécessaires sur l'instrument pour que la musique trouve son harmonie. C'est évidemment difficile à accepter, il faut renoncer au désir de toute puissance, à la tentation d'imposer une image par la force médiatique, aller au contraire vers une image de compromis, la construction sans cesse remise en cause d'une image "réelle" prise entre une image voulue par l'acteur et une image ressentie par le public.

3
Les médias push sont down. Les médias pull sont up. Mais surtout les médias interactifs sont in, et c'est beaucoup mieux. Le pouvoir de TF1 reposait sur sa capacité à dominer un vaste auditoire et à lui imposer ses messages. Paradoxalement, pour que les messages s'imposent facilement, il faut qu'ils soient quasiment vides de contenu. Il faut simplement occuper le canal qui assure le lien de dépendance, le remplir avec du rien, de la junk food. Il ne faut pas que quelque chose puisse déclencher une quelconque réaction chez le récepteur. Dans un média  de type communautaire, aucun acteur ne s'accapare le rôle de producteur exclusif, aucun n'a le pouvoir de réduire l'autre à un simple rôle passif de récepteur, de lecteur, ou de spectateur. Communiquer suppose de prendre en compte l'écosystème dans lequel on se situe, On Line comme IRL. Chercher à y occuper une place qui soit acceptée. Jouer un rôle dans le système d'échanges qui paraisse équitable à tous les autres acteurs. Prendre en compte leurs attentes, s'y adapter, y répondre. La moindre tentative de prise de contrôle, de manipulation ou de falsification,  s'expose à être immédiatement sanctionnée. Tout est média. On ne communique plus avec des "chargés de com", mais à travers des écosystèmes communicants ou de geekoms. Chaque acteur est tour à tour producteur, consommateur, transformateur, diffuseur, destructeur. L'acteur communicant va devoir se décentrer, s'investir, s'immerger dans les mondes où il veut exister. Il n'y jouera pas seulement le rôle qu'il avait l'intention de jouer mais aussi celui qu'on attend de lui.


4
Le commerce viendra plus tard. Non pas que la raison économique n'ait plus lieu d'être. Au contraire, toute entreprise doit trouver son modèle économique si elle veut survivre. Mais l'intention immédiatement commerciale, la recherche du profit immédiat, l'intéressement trop flagrant sont perçus négativement sur les réseaux. La règle est au contraire : il faut donner pour recevoir. La où la publicité affiche des intentions ouvertement mercantiles, les relations sur internet reposent sur un juste équilibre entre le gratuit et le payant (d'où l'absurdité de la Loi Hadopi). Beaucoup des propositions des acteurs sont désintéressées, elles servent à constuire et à entretenir le réseau dans lequel on se trouve, à le nourrir. Il est donc naturel que chaque acteur consacre gratuitement une partie de son énergie et de son travail à  la communauté, d'autant qu'il bénéficie lui aussi de ce que la communauté met à sa disposition, gratuitement. Dans la nouvelle communication d'entreprise, la communauté est sollicitée, elle a ses propres systèmes d'échanges et de production de contenus, indépendamment des acteurs économiques qui la soutiennent. Il est donc indispensable que les entreprises interviennent pour aider et soutenir ces réseaux, ces communautés qui leur sont liées, gratuitement, sans chercher à se les approprier. La rentabilité de l'opération viendra en son temps, comme conséquence directe de cette implication des acteurs économiques. Elle ne peut pas être un préalable.

5
L'interne et l'externe vont s'interpénétrer. Dans le schéma classique des organisations, les communications interne et externe sont distinctes, elle relèvent de services, et souvent de directions, différents. Et pourtant on leur demande d'être en bonne intelligence. Mais dans les réseaux, intérieur et extérieur se mêlent (voir Systèmes  et Réseaux). Les services de communication vont donc être conduits à se trouver de nouvelles formes d'organisation, peut-être même n'y aura-t-il plus de « services de communication » au sens strict. Mais des écosystèmes jouant un rôle dans la communication, des communautés internes et externes, avec des acteurs internes pouvant intervenir sur des communauté tournées vers l'extérieur et inversement.  Ce ne sera pas sans conséquences sur l'organisation structurelle de l'ensemble de l'entreprise, par exemple l'effacement des frontières hiérarchiques et fonctionnelles. Les modalités de  la communication vont s'en trouver sensiblement bouleversées. L'exigence de transparence venue de l'extérieur va se manifester en interne, les libertés d'expression, les régimes de vérité, les marges d'autonomie des acteurs vont bien devoir s'harmoniser entre interne et externe. La démocratie ne pourra plus s'arrêter aux frontières de l'entreprise, même si les entreprises n'en deviennent pas des démocraties. Autant dire que les méthodes de management des gestionnaires n'ont pas fini de vole en éclat.

6
Nous n'avons pas les mêmes valeurs. Dans le régime des médias traditionnels, le producteur à fort pouvoir communiquant imposait ses propres valeurs à un public, en fonction de ce qu'il cryait en connaître par ses « études de marché ». Dans le monde des réseaux, on n'impose pas, on propose. Nul ne peut communiquer s'il ne prend en compte les communautés. Ce ne sont plus les valeurs du producteur qui sont dominantes. Ce sont celles des communautés qui vont finir par s'imposer. Et on n'a pas fini d'être surpris. Les consommateurs veulent savoir ce qu'on leur vend. Leurs exigences d'information, de transparence et de traçabilité viennnent heurter de plein fouet les belles images idéalisées dont se contentent les publicitaires. La communication d'entreprise va devoir s'orienter davantage vers l'écoute du public et la recherche de réponses adaptées à ses demandes, plutôt que vers la création publicitaire onirique au service d'une entreprise de séduction. Et ce n'est qu'un début. L'échelle des valeurs dans le grand public se transforme profondément sous les coups des crises économiques et écologiques. Le développement durable, le commerce équitable sont deux des valeurs montantes de ce siècle. Elles se traduisent par des exigences de nouvelles façons de produire et de consommer. Il serait bien surprenant qu'elles ne se manifestent pas aussi par le demande d'une nouvelle façon de communiquer. Que serait par exemple une « communication équitable »?

7
Les divas de la pub, c'est fini. Les grands gourous qui modélisaient  leurs clients à leur image, ceux qui dictaient leur loi sur ce qu'il fallait dire, comment le dire et à qui. Les oracles, les haruspices qui ne pouvaient se regarder sans rire. Plus de recettes-miracles pour multiplier les pains ou pour marcher sur l'eau, la communication va redevenir ordinaire, humaine. Cela ne veut pas dire qu'elle n'aura plus besoin de professionnels, mais ils joueront un autre rôle, de médiateur, d'intermédiaire entre le client et le public, au service de l'un et de l'autre. D'écoute. De construction de réseau. De veilleur. De chercheur et d'agrégateur de contenu. De community manager. Un travail sans doute plus modeste, moins éclatant. Plus utile. Au service autant des acteurs économiques que des communautés et des réseaux. Une place qui soit à la fois dedans et dehors, c'est à dire une vraie place de médiateur. Les communicants de demain (c'est à dire d'aujourd'hui) sont appelés à devenir le média. Encore faut-il qu'ils réinventent complètement leurs modes d'intervention et leurs modèles de pensée. Ces méthodologies ne pré-existent pas, elles sont à co-construire chemin faisant avec les publics concernés et avec les communautés professionnelles qui sont à l'oeuvre.Et c'est affaire d'écologie.
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À propos
Pierre Gandonnière


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M
<br /> Bon, j'ai choisi de traiter un sujet sur mon propre blog alors que mes réflexions dessus ne sont pas encore achevée. Mais cela te permettra peut être de mieux comprendre ma position :<br /> http://kathedral.hautetfort.com/archive/2009/12/01/le-mystere-de-l-intelligence.html<br /> <br /> @+<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Je suis d'accord avec la moitié des propos tenus ici, mais en profond désaccord avec l'autre moitié. Si tu perçois parfaitement la complexité de l'univers "web" (la toile), l'équilibrage des forces<br /> positives et négatives, constructives et destructives reste encore douteuse.<br /> <br /> Les évolutions que l'internet commence à opérer en matière de communication sont une forme de retour en arrière tout en étant un bon en avant : n'oublions pas que l'immense "village" est une idée<br /> forte du web. Ce village repose sur ses usages, ses coutumes et ses lois. Oui, les communautés vont peser, mais non, les communautés n'auront pas de forme purement démocratique. Le Bazaar tel qu'il<br /> est défendu par le communauté open source n'est que la première phase d'une face de restructuration des moeurs, idées et valeurs : une forme de méritocratie ou la spontanéité et la connaissance se<br /> heurtent à l'intelligence et à l'esprit structuré. Il y aura toujours une organisation verticale, car elle le propre de la nature humaine, ceci étant dit, cette organisation ne reposera pas sur les<br /> mêmes valeurs.<br /> <br /> C'est en ce sens que je te rejoins dans ta réflexion : la Voix de son Maitre n'est plus (ou l'est encore pour peu) la valeur ultime. Cela pose de grave problème d'ailleurs sur la restructuration<br /> des sphères familiales (je t'en avais déjà parlé, les jeunes générations habituées au "web" ont une attitude plus traditionaliste et paternaliste que les générations précédentes : phénomènes<br /> d'équilibrage naturelle de la société ?). Une citation me vient en tête pour qualifier le rapport au pouvoir, elle est de Richelieu : "L'autorité contraint à l'obéissance, mais la raison y<br /> persuade". Nous entrons peut être dans une ère de raison car au fond nous reconsidérons complètement toute les notions d'autorité (l'autorité se déterminait jusqu'ici par l'information connue ou<br /> inconnue, et la capacité à mettre en pratique cette information).<br /> <br /> A méditer...<br /> J'attends la première partie de ton texte pour me faire une idée complète.<br /> Amicalement<br /> <br /> <br />
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