La révolution internet est passée sur les élections régionales, il est temps d'en mesurer les effets : rien. Ou presque. Ou plutôt si, tout de même, une abstention de 53%. Les médias sociaux ont-ils remobilisé l'électorat? Non. Et pourtant elle tourne la websphère !Cette fois-ci, tout le monde s'y est mis. UMP : les Créateurs de Possibles. Socialistes : la Coopol. Modem : les Démocrates. Ecologistes.....tiens, c'est vrai, comment s'appelle le réseau social des écolos? L'UMP, disons-le tout net (ou : tout web), ça n'avait aucune chance de marcher. Le réseau ne peut pas être seulement calqué sur le mode de fonctionnement du parti. Sinon il fonctionne comme une pompe aspirante et refoulante, chargé de faire circuler vers le bas la bonne parole et de faire remonter vers le haut les soutiens enthousiastes. Uns structure pyramidale est parfaitement inadaptée au mode de fonctionnement de l'internet, on le sait. La plateforme UMP aurait coûté dans les 500 000 euros, pour pas grand chose, pour être un relais politique, ou pour afficher une "modernité" qui en fait n'existe pas. Il y a pourtant des vrais internautes à l'UMP, des gens qui savent comment ça marche, des hackers, des geeks, des bidouilleurs. Mais pas touche à la pyramide !
Au Modem, l'idée frisait le gag. Un réseau social pose deux questions impossibles à régler. D'abord celle du contenu : quel est le projet politique spécifiquement "centriste" sur lequel nous devons travailler ? Et ensuite celui de la structure. Pour qu'un réseau fonctionne il faut qu'on puisse y circuler, que les voies soient libres et qu'elles conduisent quelque part. Or le Modem est en pleine phase centrifuge, les uns s'éloignant des autres de plus en plus au point de se retrouver dehors. Quant à ceux qui restent, ils se partagent entre ceux qui sont indépendants, mais à droite, alliés à l'UMP, ceux qui sont indépendants, mais à gauche, alliés au PS, et ceux qui sont indépendants, mais nulle part, puisque les électeurs n'en ont pas voulu.
Chez
les socialistes, l'ambition était forte. En +, Benoît Thieulin avait déjà une expérience de réseau social politique puisqu'il avait aidé les Verts à monter la première version du leur. Il pouvait s'appuyer aussi sur l'expérience brouillonne mais riche de la Ségosphère en 2007. La Coopol devait à la fois permettre d'élaborer des idées nouvelles selon un processus nouveau, de lancer une dynamique de campagne partant de la base, à la manière d'Obama. Et surtout de décloisonner, d'ouvrir la maison, de courtcircuiter, déborder, dépasser les vieilles structures sclérosantes du parti de Guy Mollet, faites de baronnies, de rivalités rancies, de courants vitrifiés, d'ambitions galopantes. On ne peut pas dire qu'il ne s'est rien passé. D'ailleurs les élections régionales ont été gagnées. Mais manifestement la campagne ne s'est pas jouée là, dans la Coopol. Elle est passée par les modes traditionnels, les marchés, les meetings, en rajoutant une pincée de blog ici et un zeste de webTV là. Les nouveaux médias ont-ils mobilisé l'électorat jeune, les digital natives? On ne dirait pas. Le jeu des courants est toujours là. Les petits meurtres entre amis sont toujours à la mode. Le pouvoir central de la rue de Solférino veut toujours imposer sa loi. Le projet socialiste qui vient de sortir est tout sauf une production du réseau social. La Coopol n'est qu'une fleur de plus à la boutonnière. Du moins pour l'instant.
Et le réseau social
des écolos? Il faudrait déjà savoir de quels écolos on parle : les Verts ou Europe Ecologie. Les Verts sont structurés par leur histoire, héritiers des associations de défense de la nature qui ont fusionné pour les créer en 1984. Elles se méfiaient tellement du "pouvoir" qu'elles se sont débrouillées pour qu'il soit impossible de le prendre ni de l'exercer à l'intérieur de la structure. C'est réussi. Europe Ecologie est une mouvance ouverte, faite pour que l'ensembles des organisations qui s'intéressent à l'écologie puissent y trouver leur place, qu'elles soient politiques ou non. Et le réseau social? Et bien c'est la même chose. Il est la mise en réseau de l'ensemble, avec une tradition typiquement écolo du : chacun fait un peu ce qu'il veut dans son coin, on monte des groupes, des projets, on s'autogère avec les ecologeeks. Culturellement, les écolos sont les plus web-compatibles. Europe Ecologie EST un réseau social. L'interpénétration entre sa version On-line et sa version IRL en est la preuve. La richesse de la production du réseau web aussi, même si son impact est encore faible. Reste qu'aujourdhui le réseau social veut prendre le pouvoir, ou plutôt le communautariser. Transformer l'ensemble de la mouvance à deux têtes (Verts-EE) en un seul réseau écolo qui fonctionne réellement comme un réseau et dans lequel les Verts seraient inclus. Bien sûr Les Verts résistent, ils sont déjà un lieu de pouvoir et n'entendent pas le céder. Le réseau va-t-il gagner? Si c'est le cas, on assistera pour la première fois à la mutation d'un parti politique vers autre chose qu'une structure n'embrigadement. Bataille intéressante à suivre.
Donc la révolution n'a pas eu lieu. Tous les partis se sont réclamés de la campagne d'Obama, mais aucune des campagnes qu'ils ont menées n'y est comparable. Les maniaco-prophètes en sont une fois de plus pour leurs frais, pas de miracle du web, Jésus n'a pas marché sur l'eau, les sourds et les aveugles vont pouvoir le rester. Pour l'ensemble des partis politiques, le web reste un outil de plus dans une campagne qui fonctionnne à l'ancienne. On communique peut-être à 360°, mais on se contente de communiquer. Du haut vers le bas. Voilà pourquoi le bas blesse (l'abstention).
C'est que la plupart des réseaux ont été montés en kit par hélitreuillage, c'est à dire téléguidés d'en haut, des hautes sphères, en fonction de ce qui les arrangeait et surtout de ce qui ne les dérangeait pas. Le jeu politique invite à la paranoïa et personne ne résiste à cette invitation. On veut d'abord se protéger, de ses adversaires, de ses amis, empêcher les débordements, les instrumentalisations, les déstabilisations. Bref on veut surtout qu'il ne se passe rien, dans ces réseaux sociaux. Le cahier des charges est fait davantage pour verrouiller que pour ouvrir.
Mais surtout, dans la lutte entre le pouvoir des réseaux et les réseaux de pouvoir, c'est encore une fois les seconds qui gagnent. Le pouvoir réel est toujours là, celui de décider à la place des autres. Que ce soit dans les instances internes des partis ou dans les assemblées délibératives, dans les exécutifs nationaux ou locaux de la République. Les organigrammes, les hérarchies, les réseaux d'élus, les clientèlismes ont toujours droit de vie ou de mort sur les carrières et sur les idées. Les réseaux de pouvoir n'ont aucune intention de laisser le pouvoir des réseaux leur disputer leur place. Mais le pouvoir ne se demande pas, il se prend. Le faible impact des réseaux sociaux politiques ne leur permet pas aujourd'hui de bouleverser le jeu politique. Car la bataille se mène en même temps dans le réel, contres les autocrates, contres les centralisateurs, contre les technostructures, contre les "pyramides", contre les idées momifiées. La mutation est en marche pourtant, même s'il est impossible de savoir où elle mènera. Et comme d'habitude, les politiques sont à la traîne parce que le pouvoir politique est par essence: conservateur.