Nouveau look, nouvelle rhétorique, pour la première fois sur France 2 Marine Le Pen enfilait les habits de candidate virtuelle à la présidence de la République,l’occasion de voir ce qu’il en est des talents tribuniciens de celle qui devrait succéder à Jean-Marie Le Pen. Elle s'appuie sur tout une série de “vérités” assénées avec aplomb, mais qui ne résistent pas beaucoup à l’examen.
Marine Le Pen s’appuie sur une stratégie d’offensives tous azimuts. Des affirmations péremptoires, des mises en accusation permanentes,des attaques indirectes pleuvent de tous côtés. Ses interlocuteurs sont acculés en défense, sommés de se justifier, de justifier leurs proches, leur parti, leur camp. Ce qui les installe dans une figure de coupable, il est impossible de répondre à tout. Et laisse les mains libres à Marine Le Pen. Trop occupés à se défendre, ses interlocuteurs ne pensent même plus à lui porter la contradiction.
Pourtant la liste de contre-vérités (pour ne pas dire : de mensonges) proférées par la leadeure du FN est impressionnante. En voici quelques unes : - Le Royaume Uni aurait été moins touché par la crise que la zone euro
- Plusieurs pays dont l’Allemagne, le Portugal, l’Italie, envisageraient de sortir de l’euro
- Le président Nicolas Sarkozy subventionnerait “la totalité des associations communautaristes”
- Alain Duhamel aurait affirmé que la crise financière s’arrêterait à la Gréce....
Tellement qu’Alain Duhamel finit par exploser (fait unique à la TV) : “Mais vous me prenez pour un imbécile!” Et pourtant aussi, les rares propositions qu’elle ose ne tiennent pas une minute devant le débat, tant elles sont énoncées sur le mode incantatoire, celui de la pensée magique. Par exemple : - Fermeture des frontières. Mais tous les traités européens prévoient la libre circulation des personnes et des marchandises. Des douaniers ne pourraient que laisser passer tout le monde ou asphyxier le pays en l’empêchant de commercer.
- Réserver les prestations sociales au nationaux. Oui mais les cotisations sont payées par tout le monde. On ne peut pas interdire à quelqu’un de toucher des prestations pour lesquelles il a cotisé. Ou alors il ne cotise pas. Mais alors son salaire revient beaucoup moins cher que celui des “nationaux”.....
- Revenir au franc pour pouvoir le dévaluer. Mais alors, fait remarquer Duhamel, le prix du pétrole va flamber, celui des entreprises française chuter, avec le risque de rachat par l’étranger, de délocalisations? Non, dit-elle. Car ce sera une dévaluation “compétitive”.
Incantatoire.
Mais de quoi s’habille le nouveau Front National?
Il prétend laisser de côté les oripeaux de Papa et se tailler un costume (ou un tailleur) sur mesure.
Dédiabolisation
Le FN serait une victime des médias et de “l’établissement” comme dirait le vieux chef. Marine se démarque de son père sur des dérapage comme les chambres à gaz “détail” de l’Histoire. Elle récuse les groupes extrémistes que Bruno Gollnisch soutient, elle récuse de même l’étiquette de droite “extrême”. Mais le seul reproche qu’elle trouve à leur faire n’est pas justement d’être extrémiste, raciste ou antisémite, mais d’être “ringards” appartenant au passé. Or ses récentes déclarations assimilant les prières dans la rue à l’occupation allemande renouent avec ce qu’elle prétend dénoncer. Il faut croire qu’on ne cherche pas tant que cela à se débarrasser de la diabolisation, qui doit être un des fondamentaux de l’identité du FN.
Mono-mousquetaire
Seul contre tous. Marine Le Pen présente tous les autres partis comme rêvant d’adapter la France à la mondialisation. Tous : l’UMP, le Modem, Le PS, les “Verts”.. et seul le FN s’y opposerait.Cette affirmation ne résiste pas une seconde à l’examen. Comme si à droite, il n’y avait pas Dupont-Aignan, De Villiers, mondialistes? Et à gauche : Mélenchon, José Bové,Besancenot.....Oui la question de la mondialisation est politiquement clivante, même à l’intérieur des partis, mais il n’y a pas d’un côté le FN et de l’autre le reste du monde. Ou l’Europe, que Marine Le Pen qualifie de “totalitaire”. Cet argument ne tient pas debout. Il a pour seul intérêt d’installer l’image d’un FN, seule citadelle protectrice contre les invasions étrangères,comme le château-fort au Moyen Age. Ce n’est pas la réprésentation d’une réalité mais d’une image fantasmée. D’où l’intérêt de la diabolisation qui dresse en effet l’ensemble de la classe politique contre le FN
Vive la laïcite !
Ce thème est nouveau dans le discours du FN. Voilà bien une chose d’autant plus étrange que les catholiques intégristes constituent un des piliers du parti. La laïcite est la neutralité de l’espace public par rapport aux religions. Manifestement il ne s’agit pas de cela au FN. Dénonciation des musulmans qui prient en pleine rue? Mais les processions catholiques, les messes en plein air du pape, la participation du président de la République à des cérémonies religieuses ? Aucune objection. Voilà pourquoi certains défenseurs de la laïcité se trouvent noyautés par l’extrême droite. Le FN croit trouver ici une base légale lui permettant de mener une offensive contre l’islam et uniquement contre lui.
Contre le communautarisme
Marine Le Pen n’a pas de mots assez durs pour fustiger cette dissolution de l’identité française dans la mondialisation. Et ce n’est pas de la xénophobie affirme-t-elle, puisqu’il y a au FN des gens issus de l’immigration parfaitement assimilés. Mais c’est bien là le problème. Car elle décrit une nation idéale qui serait fermée à l’intérieur de ses frontières, n’acceptant que ses propres règles du jeu, réservant des avantages uniquement à ceux qui en sont membres, n'acceptant de nouveaux venus de l’extérieur qu’à la condition qu’ils s’assimilent totalement, qu’ils fassent disparaître tout ce qui faisait leur identité, leur différence. mais c’est la définition même du communautarisme. Le FN n’est pas anti-communautariste, il est un communautarisme.
Les gestes parlent plus fort que la voix.
Deux attitudes particulièrement marquantes de Marine Le Pen pendant ce débat.
1. “Lie to me”. Marine Le Pen se referme sur elle-même, baisse légèrement la tête, réunit des mains sur le bureau, les croise ou les tord, ...quand elle profère une énorme “contrevérité”.
2. Pendant qu’elle écoute Rachida Dati lui dire à quel point la mise en accusation des “immigrés” dans leur ensemble peut être blessante, Marine Le Pen secoue la tête, comme devant un enfant qui ne comprend rien, elle qualifiera d’ailleurs ces propos de “logorrhée”. Puis elle se redresse pour répondre, regarde son interlocutrice de haut, hausse le ton et martèle chacun de ses mots en tapant sur la table avec l’index. On n’est pas du tout dans la situation où deux personnes débattent à égalité, mais où l’une des deux cherche à remettre l’autre à sa place. On interprêtera cela comme on voudra.
Pierre Gandonnière