Chaque problème a sa solution, comme chaque pot a son couvercle et bon chat bon rat. Mais en l'occurrence la sagesse populaire n'est pas forcément sage. Ni populaire. Il existe plusieurs manières (et pas : une seule) de traiter un problème. Les plus efficaces ne sont pas toujours les plus avouables. Pour résoudre un problème : 1. Lui trouver une solution. C'est la plus banale. Nous sommes formés à l'esprit cartésien selon lequel : a + b = c. Il existe une seule manière de résoudre une équation, une seule réponse juste et il s'agit de la trouver. Dans les affaires humaines, cela correspond au royaume de la technocratie : faire croire qu'il n'y a pas de choix contradictoires entre des projets différents sous-tendus par des valeurs, des croyances, des idéaux. Mais que toute question politique se résume finalement à trouver la solution unique de l'équation, la seule réponse juste à un problème bien posé. Il ne peut donc pas y avoir de débat. Si l'un a raison c'est que l'autre a tort. Pas de controverse possible. Pas de politique, seulement de la technocratie. On dit que si l'on confiait le Sahara aux énarques, dans six moins il faudrait importer du sable. Ils auraient donc réussi à inventer à la fois le problème et la solution. Mais même uniques, les solutions ne résolvent pas forcément les problèmes. Elles produisent souvent des effets pervers. En plus elles ne sont pas forcément applicables.
Exemple 1. Pas forcément applicables. Problème : la faim dans le monde . Postulat : il y a assez de richesses pour nourrir tous les habitants de la planète. Solution : il suffit dons de répartir plus équitablement. Merci de bien vouloir expliquer à l'ONU et à ses 192 états membres, la marche à suivre.
Exemple 2. Effets pervers. Problème : les travailleurs perdent trop de temps dans les transports, on veut raccourcir le temps de trajet. Solution : la voiture est plus efficace que le vélo ou la mobylette, on favorise donc l'acquisition d'automobiles. Effet pervers : au lieu de raccourcir les distances, on les allonge. Avec la voiture, les salariés vont choisir d'aller habiter non plus à 5 ou 10, mais à 30, 40, 50km de leur résidence. Avec le TGV, beaucoup plus.
Exemple 3. Ne résolvent pas. Problème : le chômage. Pour éviter la dé-socialisation des chômeurs on invente un système d'aide et d'assistance : les indemnisations, qui leur permettent de conserver un minimum vital. Cela ne résout en rien le problème du chômage. Au contraire, la solution se crée une rente de situation sur le problème et empêche de le résoudre. Les employeurs hésityent moins à licencier. Les salariés privés d'emploi risquent de s'installer dans la précarité. De même, si demain les automobilistes ne font plus aucun excès de vitesse, les radars ne seront plus rentables, on ne pourra plus en installer et l'état perdra 500 millions d'euros par an. La repression ne doit donc pas faire disparaître l'infraction. Si le problème était soudaine résolu, il tuerait la solution. Or, elle est au moins aussi importante que le problème.
Pour résoudre un problème : 2. Surtout ne pas y toucher ! Le plupart des problèmes se résolvent d'eux-mêmes, ou sinon tout le monde finit pas les oublier ce qui revient au même. Un problème auquel plus personne ne pense n'est plus un problème. Selon le principe d'une sage médecine qui dit
:"un rhume bien soigné passe en une grosse semaine. Alors que mal soigné il se traîne bien huit jours", laisser faire la nature. C'est d'ailleurs la consigne que se refilent certains ministres de l'Education Nationale si l'on en croit la rumeur, au moment de la passation des pouvoirs à leur successeur : "Surtout ne faites rien". Faire quelque chose, c'est prendre le risque de l'échec, très compromettant pour la suite d'une carrière. Ne rien faire, c'est laisser prendre ce risque aux autres, et un concurrent affaibli, c'est un point de gagné. Edgar Faure (qui fut ministre de l'Education Nationale) en avait fait presque une devise :
« l'immobilisme est en marche, et rien ne pourra l'arrêter". Pour résoudre un problème : 3. L'aggraver. Beaucoup de problèmes se résolvent tous seuls, certes, mais à leur rythme. Et il se peut que ce ne soit pas suffisant. Pas assez rapide. Le JT de 20 heures n'attend pas. D'où ce formidable accélérateur qui enclenche chez le problème un furieux désir de se résoudre tout seul, spontanément : l'aggraver.
Exemple. La circulation automobile. Depuis l'origine remontant pratiquement au char de Cugnot, la place des automobiles n'a cessé de croître, bouleversant la physionomie de nos villes : rues encombrées, dangerosité accrue pour les pétons, pollution de l'air, bruit, accidents. Pour y répondre on n'a cessé de pratiquer toujours la même politique : adapter la ville aux automobiles, réduire les trottoirs, modifier les infrastructures pour améliorer les fluidité de la circulation, harmoniser les feux sur les rythmes des voitures. Avec une seule conséquence, toujours la même : une augmentation inéluctable et constante du trafic automobile. Non seulement le problème n'était pas résolu, mais il ne cessait de se développer. Jusqu'au bord des années 2000 où l'on commença à passer de la solution 1 à la solution 3 : au lieu de résoudre le problème, essayons de l'aggraver. Au lieu d'augmenter l'espace dédié à l'auto, réduisons-le. Au lieu d'adapter le trafic au mode de circulation de l'auto, désadaptons-le. Couloirs de bus,en site propre, espaces piétonniers, tramways mangeant une partie de la chaussée, pistes dédiées aux modes doux, réduction de la vitesse et bientôt adoption du code de la rue. Résultat : pour la première fois depuis que l'automobile existe, le trafic urbain a commencé de régresser.
De même certains médecins soignent le mal par le mal. De même dans certaines thérapies de Palo Alto, chères à Paul Watzlawick, recommande-t-on de prescrire le symptôme. Certes il peut arriver que le patient en meure. Mais pas tellement plus souvent que si on n'avait rien fait. Il arrive aussi que le patient, se sentant persécuté dans son symptôme, se mette à en changer pour pouvoir continuer à rester malade, mais d'autre chose. Ce qui nous conduit tout naturellement au point suivant : pour résoudre un problème .....
Pour résoudre un problème : 4. Changer de problème. C'est toujours la question de la clef et de la serrure. Lorsqu'on n'arrive pas à trouver la bonne clef qui aille avec la bonne serrure, peut-être vaut-il mieux chercher la bonne serrure qui aille avec la clef. Ça paraît idiot. Et pourtant. C'est ce qu'on fait en permanence en médecine. Beaucoup de pathologies n'apparaissent et ne se développent que parce qu'il existe une place pour elles dans la nosographie et qu'on en connaît le traitement correspondant. En décrivant l'hystérie de conversion, Freud, après Charcot, a suscité de nombreuses vocations d'hystériques qui se sont mises à manifester exactement le tableau clinique qui avait été décrit. Il ne s'agit pas de dire qu'en réalité ces personnes ne souffriraient de rien, mais de dire qu'il faut bien que cette souffrance prenne une forme, et tant qu'à faire autant que ce soit une forme connue. Et soignable. Ainsi les schizophrénies à personnalités multiples ont-elles plus ou moins de succès selon les époques et selon les régions du globe, davantage aux USA, très peu en France où les cas cliniques demeurent rares. EIles suivent exactement la courbe d'intérêt que leur portent les médecins. De même la fameuses crise de foie, spécialité typiquement française pratiquement inconnue ailleurs. Les maladies orphelines sont par nature, très rares. Et encore bien plus rares les affections qu'on ne serait même pas capables de décrire et d'expliquer. Il en résulte qu'un problème qui ne se connaît pas de solution est peut-être un problème qui n'existe pas. A tel point qu'on n'aurait tout intérêt intérêt à le poser différemment, voire même carrément à changer de problème. Et quitte à en changer, autant opter cette fois-ci pour un dont on connaisse par avance la solution. En conclusion, plutôt que de s'échiner à chercher d'hypothétiques solutions à des problèmes qui peut-être n'existent pas, on a tout avantage à cherche plutôt inventer les problèmes en fonction des solutions qu'on a en magasin.
Exemple : le trou de la Sécurité Sociale. Quelles en sont les causes, les conséquences? Quel est le moyen de le régler une fois pour toutes alors qu'on court derrière depuis plus de 50 ans? Aucune importance. Mais voici les remèdes : augmenter les cotisations, diminuer les prestations. Quand au problème appelez-le comme vous voulez, expliquez-le comme bon vous semble : la crise, les gaspillages, la mauvaise efficacité des traitements.....
Pour résoudre un problème : 5. Le cosmétiser. Un problème n'est un problème que parce qu'il a mauvaise mine. Dès qu'il retrouve des couleurs, plus personne ne s'inquiète de lui. On utilisera donc deux types de cosmétiques : les chiffres et les lettres.
Avec les lettres on fait des mots qui font des phrases qui font des belles marquises vos beaux yeux me font mourir....Et le problème prend un air badin. Sous les paroles de la ministre de l'Économie Christine Lagarde, la récession de 2009 n'est jamais qu'un épisode de "croissante négative". Les aveugles deviennent non-voyants, les handicapés des personnes à mobilité réduite, et les cons des malcomprenants. Un sans-abri n'est plus qu'un Sans Domicile Fixe. Comme si on lui avait finalement trouvé un abri mais qu'il s'amusait à en changer tout le temps. Une sorte de jetsetter de la mouise. SDF dûment siglé, il entre enfin dans une catégorie administrative ce qui veut dire qu'il existe une réponse appropriée à sa situation. On pourra toujours objecter que ça ne change pas grand chose pour lui et que ça ne résout pas son problème. Le sien non, mais celui de l'administration, si.
Et les chiffres. Winston Churchill avait coutume de dire
"Il y a trois sortes de mensonges : les petits mensonges, les gros mensonges, et les statistiques". Il n'a pas vécu assez longtemps pour connaître le triomphe de la troisième catégorie sous les efforts conjugués de l'informatique et de l'internet. Désormais les statistiques sont à la fois globales, virtuelles, cybernétiques et interactives. Elles sont l'oracle absolu. Tout le monde a bien compris qu'il est plus facile de (dé)régler le thermomètre que de soigner la fièvre. Aussi les statistiques du chômage, après correction des variations saisonnières finissent-elles toujours par montrer un ralentissement de leur accélération qui n'est pas sans laisser supposer que le pic de l'aggravation est peut-être déjà derrière nous et que dans un avenir proche il n'est pas impossible que nous assistions à une inversion de tendance. C'est à dire une accélération du ralentissement, si l'on suit bien. Sport national : la côte du président de la République. En septembre 2009 , à 47% d'opinions favorables contre 49% de défavorables, elle est mauvaise (BVA L'Express). Mais, comme on n'y peut rien on préférera communiquer sur le fait qu'elle est en hausse de 2% sur l'indice précédent, même si les 2% en question sont entièrement inclus dans la marge d'incertitude correspondant à un échantillon de 1000 personnes : 3%. En clair, statistiquement, il ne s'est rien passé. Mais rien, ça ne fait pas une information.
5 manières de résoudre un problème et tant de problèmes qui restent inachevés. C'est à se demander si on a réellement essayé d'en finir avec eux ou si on s'est contenté de jouer avec. Résoudre un problème, l'éliminer, c'est supprimer du même coup sa solution, c'est aussi priver de sa raison d'être celui qui en avait la charge. Aujourd'hui, on ne résout plus les problèmes, on les gère. On les entretient. Selon le principe digne du docteur Knock : "souvenez-vous qu'on est là pour vous soigner, pas pour vous guérir".