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Communiquer en écosystème

Hortefeux dans le piège médiatique


A défaut d'enflammer les dancefloors, le Ministre de l'Intérieur a réussi à mettre le feu à lui-même. Retour sur un feu de forêt médiatique.

Autopsie d'un piège
Parce qu'il est l'invité vedette du lynchage médiatique, Brice Hortefeux porte seul la responsabilité des propos incriminés : "Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes." Or, il s'agit en réalité d'une construction collective qui aboutit in fine à cette phrase. Construction dans laquelle on trouve la situation : on présente le jeune Amine à Hortefeux pour une photo. Et c'est dans cette présentation que des phrases sortent du groupe : "il est arabe mais il mange du cochon et boit de la bière" ou encore "c'est notre arabe". Donc : il n'est pas comme les autres. Construction avec aussi le background. Hortefeux n'est pas l'abbé Pierre. Il est celui dont le nom s'est attaché à la politique la plus violemment anti-immigrés menée dans ce pays depuis des décennies. Plus largement il représente le bras armé d'une volonté politique sarkozienne de liquider l'option FN, non seulement en syphonnant l'électorat lepenniste mais surtout en le vidant de sa principale raison d'être: Hortefeux a mené au nom de la droite traditionnelle, la lutte contre l'immigration que Le Pen promettait à son électorat depuis 20 ans. C'est cet Hortefeux qui parle, ce 5 septembre à Seignosse. A chaque prise de parole on ne dit pas seulement ce qu'on dit on dit d'abord qui on est, et cela oriente tout le sens du message. Enfin construcion collective parce que ce n'est pas l'énonciation qui fait le message mais la réception. Peu importe ce qu'il a réellement dit ou voulu dire, ou cru dire, ou fait semblant de ne pas avoir dit. La seule chose qui compte est ce qui a été entendu. Parce que c'était Hortefeux, cet Hortefeux là, parce qu'en même temps que sa phrase on entend le contexte, on ne peut pas y percevoir autre chose qu'une plaisanterie à connotation raciste. Un racisme de salon, très édulcoré, faits de préjugés pas encore résorbés. Pour couronner le tout, le cœur du piège réside dans une figure de style que les médias adorent et qui produit à chaque fois un succès public éclatant : le paradoxe. Ce ministre qui fait des blagues sur les arabes vient de virer un préfet pour des faits du même type. L'arroseur va-t-il aussi s'arroser ? Enfin se pose la question de la diffusion et de la transmission. Quelle surprise!  L'opposition reprend cette phrase à l'envi et s'en sert pour pilonner le ministre de l'Intérieur ? C'est de bonne guerre, non? On ne vient quand même pas de découvrir que, dans le monde politique, l'interprétation d'un propos n'est pas forcément bienveillante, et même  : pas forcément honnête. Chirac le 19 juin 1991 a connu la même mésaventure avec son fameux discours sur 'le bruit et l'odeur".


La meilleurs défense, c'est le suicide
Hortefeux est un des deux fondements de la maison Sarkozy. Hors de question de le laisser ravager par les flammes. Mais les pompiers n'ont-ils pas fait plus de dégâts que l'incendie? La défense du N°2 du gouvernement paraît tellement improvisée que les démentis n'arrêtent pas de se démentir eux-même. "Ce sont des images volées". Ben non, on sait maintenant qu'elles ont été tournées de manière tout à fait officielles par Public Sénat. "La phrase a été déformée et sortie de son contexte" On connaît aujourd'hui la phrase et le contexte, on ne voit toujours pas où il y aurait eu déformation. La première stratégie de "il n'a pas dit ça" a donc fait long feu. Dernière tentative d'enfumage : "c'était du second degré", ou encore "mais non je parlais des auvergnats". Là encore, ça ne prend pas. Reste le plan B : "Hortefeux n'est pas raciste, je ne connais bien" (Fadela Amara, Jack Lang...). On abandonne la bataille sur les propos pour la reporter sur l'homme. Mais c'est pire. L'homme est celui qui a expulsé 30 000 immigrés par an depuis 2007. Que lui soit raciste ou non en son âme et conscience n'a plus aucune importance. Son image est irrémédiablement marquée par les politiques qu'il a menées et qui sont perçues comme racistes. Cette image est marquée par de nombreuses séquences d'actualité, des expulsions musclées par charters, des traques de parents à la sortie des écoles, de sans papiers au desespoir qui se défenestrent pour échapper à la police. L'image d'Hortefeux est faite de ça. Elle y est associée. Quand bien même l'homme serait un fort brave type pas raciste du tout -pourquoi pas?; son image médiatique est fortement plombée. Et c'est elle qui parle, pas lui. Reste le plan C : discréditer les médias, en l'occurrence internet, par qui le scandale arrive. Condamner l'ampleur qu'a prise la polémique comme si on y était pour rien. Comme si, à force de tergiverser, de s'emberlificoter dans des explications vaseuses ou inexactes, dans son incapacité à s'expliquer franchement, dans une stratégie consistant à attaquer les autres; le ministre n'avait pas largement aggravé la situation en se discréditant encore un peu plus. En communication de crise, on recommande de ne donner que des informations exactes, de reconnaître immédiatement ses erreurs, pour ne pas laisser enfler des polémiques. Et même de présenter des excuses quand on est on a blessé des gens. Bref de faire la part du feu.

Le coup de l'élastique
Ce n'est pas la première fois que des politiques se font pièger par des paroles malheureuses qui tournent en boucle sur le net et continuent de les poursuivre des années après : "Casse toi pauv'con", la bravitude", "il y a trop de noirs dans l'équipe de France", "Zapaterro n'est peut-être pas très intelligent...", "...si on rajoute à ça le bruit et l'odeur!". Ces paroles qui leur échappent et se retournent contre eux, souvent de façon très injuste, ne sont que l'élastique qui leur revient dans la figure. Ils passent leur temps à tirer dessus dans l'autre sens, celui d'une communcation 100% sous contrôle. D'un côté les images "volées" utilisées sans contrôle et sans aucune éthique. De l'autre des images construites, scénarisées, storyboardées qui voudraient transformer les politiques en personnages d'un show permanent de téléréalité dont ils seraient la vedette (Les 5 tours de passe-passe de la communication présidentielle). D'un côté une production-diffusion "d'informations"  animée par l'intention de nuire au sujet. De l'autre une production-diffusion d'informations animée par l'intention de faire la promotion du sujet. Bref ces images volées ne sont rien d'autre que de la contre-communication. Plus les politiques voudront renforcer la maîtrise de leur communication et plus, par contrecoup, ils créerotn un appel d'air pour la contre-communication. C'est ce à quoi on assiste aujourd'hui. Entre ces deux espaces, il devrait en exister un troisème, médiateur, médiatique, qui repose sur le principe de l'indépendance des sources. Le fait qu'une information ne soit pas là pour nuire ou pour promouvoir mais pour informer. Mais cet espace proprement informationnel est en train de se rétrécir, absorbé peu à peu par la communication, et rongé de plus en plus par la crise du journalisme qui voit réduire chaque jour ses marges de manœuvres. Moins il y a de journalisme et plus les deux "communications" se retrouvent face à face.

Pierre Gandonnière
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