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Communiquer en écosystème

L’étonnante posture d’un général sans armes

Analyse du discours de Macron à l’usine Kolmi-Hopen

 

L’allocution du président de la République  dans les locaux de l’entreprise Kolmi-Hopen le 31 mars, tente une construction d’image, celle d’un chef de guerre, malheureusement démentie à la fois par les faits et par le discours lui-même. 

Au milieu d’un entrepôt comme sur le pont d’un navire, seul à la barre derrière un pupitre au couleurs de la République.  Voilà pour le décor. Quand au discours, il est martial, on parle de “bataille essentielle” de “combat”, de “première ligne”, de “deuxième ligne, de “‘mobilisation”, de “stratégie”, de “doctrine”. 

 

Cela suffit-il à poser un chef de guerre ? Pour Sun Tzu, Il y a 5 conditions pour incarner ce rôle. Parmi lesquelles, l’influence morale :  que le peuple soit “en harmonie avec ses dirigeants, de sorte qu’il les suive à la vie à la mort sans craindre de mettre ses jours en péril”. On trouve également la doctrine avec ‘“le soin de pourvoir aux besoins essentiels de l’armée”. Clausewitz insiste sur la volonté de convaincre. On lui doit aussi cette phrase célèbre : “la guerre est le continuation de la politique par d’autres moyens”. 

 

Un chef de guerre ? Mais il n’y a pas de guerre. Contre qui, un virus ? On ne mobilise pas des troupes contre un microbe. Les troupes, première et deuxième lignes, se positionnent sur un front, et de l’autre côté de ce front : d’autres troupes, premières et deuxièmes lignes. D’ailleurs le président parle de “deuxième ligne” pour désigner ceux qui font tourner la machine économique ; ils ne sont pas sur une ligne de front mais à l’arrière. Pas d’armée non plus. Ce n’est pas lui qui dirige les soignants. Pas de structure militaire pyramidale descendant du général en chef jusqu’aux hommes. Et pas davantage de stratégie de combat. Le but de guerre, tel qu’il est défini, se résume à “vaincre le virus”. A supposer qu’il ait un sens, il ne pourrait être que médical. 

 

Alors de quoi parle-t-on ? D’intendance. La “doctrine”, c’est de ne pas être en rupture de stock. La “bataille essentielle”, c'est la “production de masques”. La “reconquête”, c’est celle de la production nationale. La stratégie : “passer massivement des commandes”. Derrière le langage militaire se cache l’intendant. Et à qui parle-t-il ? Un chef de guerre dit “Soldats…” un chef d’Etat : “Françaises Français”. Lui commence son discours par “Bonjour à toutes et à tous”.  Il termine par “Vive la République, vive la France”. Mais de la France, il a été à peine question et de la République jamais. Pourquoi cette rhétorique guerrière ? Parce que le discours martial se situe dans le registre de la communication de propagande. Il a pour avantage de chercher à créer l’adhésion en coupant court à toute possibilité de contestation. Il cherche à instaurer un mythe. A fédérer autour d’un idéal ou d’un avenir enthousiasmant. Qu’y a-t-il dans le discours qui parle de cela ? “Le jour d’après ne ressemblera pas au jour d’avant”’. Immédiatement contredit par les phrases suivantes où il est question des réformes entreprises auparavant “qui permettent à notre pays d’être plus compétitif”. La sentence tombe “c'est ce que nous continuerons à faire le jour d’après”. Il sera donc semblable au jour d’avant. Le président continue la même politique par d’autres moyens.

 

Alors à quoi bon ?  Pourquoi tenter d’incarner cette figure de chef de guerre ? Pour toutes les raisons qui viennent d’être dites. Parce qu’elle met en scène un personnage qui contrôle la situation, qui sait où il va, qui développe une stratégie pré-établie, dont toute action procède de lui, un chef dans lequel chacun se reconnaisse et dont la parole ne puisse pas être remise en cause. A peu près l’inverse de ce qui se passe dans le réel. La communication sert à cosmétiser le réel, à masquer ce qui  va mal et à créer l'illusion de ce qui n’est pas. Faut-il en conclure que le président n’est pas à la hauteur de sa tâche de président ? Certainement pas. Il fait ce qu’il peut dans des circonstances qui justement ne sont pas sous contrôle. Ce qui étonne c’est le décalage entre ce que dit sa communication et ce que le réel raconte. 

 

Pierre Gandonnière

Docteur en Information et Communication





 

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