Communiquer en écosystème
10 Septembre 2009
Ce n'est pas un bidonnage. La visite de Sarkozy à l'usine Faurecia de Flers, ce 3 septembre, rélève des pratiques de communication politique habituelles et non d'un ratage. Le casting des figurants de moins d'1m70, la mise sous séquestre du site, le verrouillage complet de l'évènement, la mise en scène, tout est normal.
De quoi s'agit-il? Pas d'un événement fortuit, d'une visite impromptue commandée par l'actualité. Mais d'un événement provoqué intentionnellement pour les médias, un cadre offert à la parole présidentielle, avec un objectif précis : faire passer le message que la relance pointe son nez. Dans l'industrie automobile justement, là où l'argent public a plu tant et plus. Dès lors, faire semblant de se demander s'il y a eu mise en scène et casting relève du foutage de gueule pur et simple. Cela revient à douter des compétences professionnelles d'un Thierry Saussez ou d'un Jean-Michel Goudard. Bien sûr que tout est maîtrisé; le spectacle doit être parfait. La question est plutôt : quelle est cette forme de communication politique qui se substitue de plus en plus à l'information ? "Substitue", car il semble bien qu'on assiste à un classique de l'illusion : l'escamotage.
Une communication totalement sous contrôle. Sous Chirac déjà, les journalistes se plaignaient d'être embrigadés par le service de presse dirigé par Claude C. Une corde pour les tenir à distance, l'impossibilité de filmer autrement que sous l'angle qui leur a été assigné. Sarkozy va plus loin. Pendant la campagne de 2007 Sarko TV produisait elle-même une couverture d'images vidéo techniquement parfaites qui mettaient en valeur le candidat dans sa geste de conquête de l'Elysée. Ces rushs étaient proposés aux médias. Et l'équipe de campagne s'étonnait que les JRI s'obstinent à tourner leurs propres images alors que « on peut vous fournir tout ce que vous voulez ! » Aujourd'hui l'équipe de Sarko TV est devenue celle de l'Elysée et elle poursuit la même mission : téléréaliser le président. Les journalistes sont entrainés dans un tourbillon infernal où ils n'ont plus d'autre choix que d'assister au show permanent qu'on joue pour eux. Le reportage de la RTBF n'a été possible que parce que le journaliste, au lieu de suivre la folle caravane, a fait du backstage : il a filmé avant, après, à côté, plus loin, ailleurs. Il n'a posé que des questions qui n'avaient rien à voir avec le sujet du jour, qui n'étaient pas dans le dossier de presse. Il s'est comporté comme un grossier malpoli de journaliste. Pendant ce temps, la presse française se contentait d'assister au spectacle de patronage donné pour elle.Elle ne pourrait d'ailleurs pas faire autrement. Il faut être belge pour s'affranchir ainsi des usages. Les journalistes embeded de la presse française ne pourraient tout simplement pas se le permettre. Ce serait prendre le risque de ne plus faire partie du voyage, d'être coupé de la principale source d'information élyséenne : l'Elysée lui-même.
Le magicien de la communication a cinq tours dans son sac.
1) La cavalcade.
Il faut l'avoir vu pour le croire, c'est un train d'enfer ! On n'approche pas le président comme ça. Les journalistes doivent être accrédités. On leur donne donc rendez-vous à un check point où leurs accréditations sont vérifiées, puis ils sont pris en charge par bus spéciaux et conduits sur le lieu de l'évènement. Au pas de course on les débarque, les services de sécurité leur ouvrent les portes et les font passer par les entrées dérobées, des couloirs qui leur donnent accès au coin presse qui leur a été réservés. Sarko TV est déjà sur place et produit les belles images qui alimenteront le site du président. Il n'y a pas d'autre choix que de suivre le mouvement. Quiconque s'écarte un instant du flux se trouve éjecté. On court, on se pose, on court.
2) Le storytelling.
L'histoire est déjà préracontée, le scénario est prédéfini. Il faut bien comprendre que le storytelling ce n'est pas mettre en récit la vie du président telle qu'elle se déroule "naturellement". C'est concevoir, imaginer, écrire une histoire, bâtir un scénario qui sert des objectifs de communication bien précis, puis REALISER le film, c'est à dire tourner l'histoire et la faire jouer par le président. C'est un Loft Story élyséen, Nicolas Sarkozy est téléréalisé. Les journalistes reçoivent par dossier de presse tous les éléments de l'histoire : scenario (programme) dialogue (discours) casting...
3) Le storyboard.
Bien sûr, puisqu'il s'agit de sortir des images, la production aura tout prévu. Bien sûr le lieu de tournage aura été repéré, le décor choisi, les figurants et les acteurs soigneusement sélectionnés. Les placements de caméras, les cadrages, les déplacements de personnage, tout est prévu. Comme sur un storyboard, on doit être capable d'écrire image par image tout ce qui va permettre de raconter l'histoire. Ceci pour une raison évidente : Sarko TV a besoin de prévoir tout cela pour organiser son propre tournage. Et ce qui aura été mis en place pour Sarko TV le sera aussi pour tous les autres médias.
4) La fuite vers le virtuel.
Le passé est dangereux : il existe. Il suffirait qu'on vienne y fouiller un peu pour découvrir des placards pleins de cadavres qui bougent encore. Le présent n'est pas fiable. Contradictoire, ils est toujours prêt à basculer d'un côté ou de l'autre. Alors que le futur est très rassurant, il ne peut pas encore être démenti par les faits, il n'y en a pas ! D'où la stratégie de communication proactive de l'Elysée : l'effet d'annonce permanent. Une véritable préemption du futur. La logique communicationnelle : "1 problème entraîne 1 annonce" , remplace la logique naturelle : "1 problème entraîne 1 solution". Ce n'est pas la même chose. L'annonce renvoie à un évènement potentiel, au sens strict : virtuel. La solution agit sur le réel. L'annonce est un simple acte de langage, un performatif autoréferentiel.
5) Une carte postale par jour.
On pourrait dire aussi : un clou chasse l'autre. La carte postale consiste à adresser un message chaque jour dans les médias, storybordé, pré-raconté, prêt à diffuser. L'organisation d'un joural télévisé est faite de telle sorte qu'il ne peut pas y avoir deux sujets dans la même case. S'il y a déjà une information concernant le président, il n'y a plus de place pour une deuxième éventuellement moins favorable. La stratégie de communication consiste à saturer cette case chaque jour. Quand au principe du clou, il dit que le sujet du jour efface celui d'hier. On ne se retourne jamais, on ne laisse jamais à l'autre le temps de réagir.
La communication politique présidentielle a donc pour effet de sidérer la production journalistique pour lui couper toute possibilité de réaction ou d'initiative. Elle remplace l'information par un contenu médiatique prêt à l'emploi, issu des services para-élyséens. Elle tend à remplacer le mode de production journalistique par un mode de production médiatique de type "communicationnel". Remplacer la réalité (au sens de : représentation du réel) par la téléréalité (au sens de : fiction scénarisée construite à partir de personnages réels). En ce sens elle téléréalise le président.Cette dérive est d'ailleurs parfaitement assumée par ses promoteurs. Un des gourous de la communication présidentielle, Thierry Saussez, aujourd'hui chef du SIG (Service d'Information du Gouvernement) le proclame. Dans ses ouvrages il donne une définition étonnante de la communication et de l'information. Selon lui, ce qui distingue l'information de la communication, c'est que "l'information est à sens unique(...) la communication fonctionne dans les deux sens"*. L'information et la publicité, c'est donc la même chose ! D'ailleurs il insiste pour présenter son activité de promotion de l'action gouvernementale comme étant "de l'information". Au nom de quoi les communicants de l'Elysée sont devenus des vases communicants qui déversent directement la communication dans l'information.
*p.8 de "Le Style réinvente la politique", Presses de la Renaissance, 2004
N.B.
Voici trois "trucs" utilisés par l' illusionniste de music-hall :
1.Parler plus vite que l'autre ne comprend.
Il s'adresse à ses interlocuteurs avec un discours tout prêt et appris par cœur. Son débit est légèrement accéléré. L'esprit du spectateur est entièrement mobilisé pour essayer de le suivre.
2. Occuper le corps pour endormir l'esprit.
Les personnes qu'il fait monter sur scène sont toujours occupées à faire quelque chose : tenir un foulard, tendre le bras, se maintenir dans une position inconfortable. La vigilance du sujet, concentré sur cette tâche, est complètement démobilisée.
3. Montrer pour mieux cacher
Tout le jeu de l'illusionniste consiste à attirer l'attention à un endroit....pour la détourner de ce qui se passe à un autre. Les substitutions, escamotages apparitions, disparitions, se font toujours pendant que l'attention des spectateurs est attirée ailleurs. Chez un illusionniste, le geste qui consiste à montrer ostensiblement quelque chose marque toujours qu'on est en train d'escamoter autre chose.
Troublante ressemblance, non....
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